Retrouver le sens du temps sans réseau
Avant Internet, la vie semblait plus lente, mais pas forcément plus vide. On ne “tuait” pas le temps : on l’habitait. L’absence de connexion n’était pas un manque, c’était une manière d’être au monde différente. Les journées s’étiraient naturellement, rythmées par des gestes simples, des échanges concrets, et une attention soutenue à ce qui nous entourait. Le temps n’était pas à remplir, mais à vivre.
Le rapport au temps : la lenteur assumée
Avant Internet, le temps était continu, pas fragmenté. On ne vivait pas dans la “stimulation permanente”.
On attendait :
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le courrier, les nouvelles, un appel téléphonique, un rendez-vous, un événement.
Cette attente faisait partie de la vie, et les gens savaient remplir les interstices avec des micro-activités. -
contempler, rêvasser, gribouiller, fumer une cigarette en silence, observer les passants…
C’était une forme d’occupation lente, pas une perte de temps, mais une disponibilité au monde.

L’imaginaire et la solitude créative
Sans Internet, l’imaginaire personnel était beaucoup plus sollicité.
Les enfants et les adultes :
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inventaient des jeux (dans la rue, avec rien)
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écrivaient ou dessinaient pour s’évader
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construisaient des mondes mentaux (dans les romans, les rêves, les discussions)
L’absence d’images instantanées ou de flux constant laissait la place à l’imagination active : tu devais “voir dans ta tête”, pas sur un écran.
C’est aussi pour ça que beaucoup de créateurs d’aujourd’hui disent s’être formés “dans l’ennui” d’avant internet.
La vie sociale et la densité des liens
Les interactions étaient plus rares mais plus intenses.
On parlait pendant des heures en personne, souvent sans distractions.
Les discussions pouvaient tourner longtemps autour d’un même sujet, parce qu’il n’y avait pas d’accès instantané à la bonne réponse, que l’on se presse désormais de rechercher sur internet.
Le débat, la transmission orale, et les rituels sociaux (repas, cafés, promenades) étaient le cœur de la vie relationnelle.
L’occupation domestique comme ancrage
La maison était un lieu de création et de maintenance, pas seulement de repos.
On réparait, polissait, rangeait, cousait, entretenait.
Ces gestes simples avaient une valeur existentielle. On “tenait sa maison” comme on “tenait sa vie”.
Il y avait un sentiment de maîtrise artisanale : savoir faire soi-même, entretenir ses objets, faire durer les choses.
C’était une forme de savoir-vivre concret, presque méditatif.

Le monde extérieur comme aventure
Sortir n’était pas juste changer d’environnement, c’était explorer.
Tu n’avais pas Google Maps, ni TripAdvisor…donc tu te laissais surprendre.
On se perdait, on demandait son chemin, on découvrait des lieux par hasard.
Les relations avec les commerçants, les voisins, les passants faisaient partie du quotidien.
La ville ou la campagne étaient vécues physiquement, pas seulement consommées.
Le silence et l’intériorité
Enfin, il y avait le silence.
Pas de notifications, pas de musique de fond automatique, pas de télé allumée en continu.
Le silence permettait une auto-réflexion naturelle : penser, rêver, ressasser, comprendre.
L’ennui n’était pas toujours agréable, mais il servait de ferment à quelque chose : créativité, envie, décision, repos mental.
En résumé
Avant Internet, “s’occuper” signifiait :
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habiter pleinement le temps plutôt que le remplir ;
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cultiver des liens profonds plutôt que des contacts multiples ;
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faire avec ses mains ou son esprit, pas seulement consommer ;
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être dans le monde réel, pas dans sa représentation numérique.
Habiter le temps
Vivre sans Internet, ce n’était pas vivre moins, c’était vivre autrement. Ce monde n’était pas meilleur, simplement plus enraciné dans la matière, dans le corps, dans l’attente. S’occuper signifiait alors s’inscrire dans le réel : faire, parler, sentir, imaginer. Aujourd’hui, on peut redécouvrir cela, non pas en rejetant la technologie, mais en renouant avec cette attention lente et pleine. Car avant internet, on ne cherchait pas tant à s’occuper qu’à être. Et c’est peut-être ce qui nous manque le plus.


