La peur de mourir, ou le luxe de l'occident.
C’est un sujet difficilement acceptable d’imaginer que ce qui nous fait peur, est un luxe dont nous n’avons même pas conscience. Nous rejetons cette idée, sans même la considérer, alors qu’elle est inaccessible à certaines personnes. La peur de la mort est un sujet qui peut être considéré comme un luxe en Occident. Dans les pays développés, nous avons la chance de pouvoir bénéficier de soins médicaux de qualité, de vivre dans des environnements sûrs et de disposer de ressources pour nous aider à faire face aux difficultés de la vie. Tout cela peut nous donner l’impression d’être à l’abri de la mort, et cela peut contribuer à notre peur de cet événement inévitable.
- Écrit par : Hélène CORSO
- 03/08/2023
Un bidon-ville sur l'eau, Kinshasa ©hélènecorso
Une expérience
Comment je suis arrivée à me dire que c’était un luxe de pouvoir penser à la mort ? Lorsque je suis montée à bord d’une petite embarcation, sur le fleuve Congo, perdue au milieu de la forêt africaine. Un homme se baladait à l’avant et à l’arrière du bateau, en tongs, de l’autre côté du bastingage. A toute vitesse, l’homme ne prenait aucune précaution. Le vieux bateau à moteur tanguait et peinait à avancer à cette vitesse. Les quelques passagers présents comme moi étions assis sur de simples chaises en plastique, posées au sol. Aucune ceintures ou gilets de sauvetage. J’ai pensé à cet homme, et à sa vie. Pourquoi est ce qu’il n’était pas plus prudent ? Et puis une réponse, bonne ou mauvaise est venue à mon esprit. Sans doute parce qu’il n’avait pas le choix. Cet homme vit dans une extrême pauvreté et doit nourrir sa famille. Quitte à ne pas réfléchir, ou du moins, sans montrer sa peur. Sa peur de faire des choses dangereuses. Qu’il le cache pour lui-même ou pour tromper un tragique destin responsable d’un accident, l’homme fait. Il vit à travers le prisme d’un destin incertain, et n’a pas le choix. Le travail est l’une des premières réponses pour trouver de l’argent. Alors l’homme fait. A-t-il peur ? L’habitude peut-elle prendre le dessus ? Il me répond que non, il n’a pas peur. Il se fiche de tomber à l’eau même s’il ne sait pas nager. Mais est-ce qu’il a conscience des conséquences ? Peu importe la réponse, il ne peut pas se permettre d’y penser. Au risque de voir l’opportunité de travail lui échapper.
Et moi ?
Moi je travaille, derrière un bureau, avec la clim, de l’eau à volonté. Et j’ai le luxe de pouvoir penser. Réfléchir à un projet, à mon avenir, mon repas… Parfois si je pense à la mort et si cela m’effraie, je peux me rassurer, par le biais d’internet, ou d’interminables discussions avec des amis. J’estime donc avoir le luxe de décider d’en parler, d’y penser, et même plus tard, de pouvoir préparer ce moment. J’ai la chance d’avoir ce choix. Car je vis dans un pays développé (entre autres). Est-ce-que ça veut dire que je suis plus sereine ? sans doute. Si on me propose un métier, une activité dangereuse, je peux décider d’accepter ou non ? Et qui aurait envie d’être sur un bateau à toute allure, ne sachant pas nager ?
Quête de sens
Mais cette expérience sur le fleuve Congo m’a fait réaliser que la peur de la mort n’est pas seulement une question de luxe, mais aussi une question de perspective. Dans l’Occident, nous sommes souvent tellement préoccupés par notre propre mortalité que nous oublions de vivre pleinement. Nous sommes paralysés par la peur de l’inconnu, de l’inévitable, et nous nous accrochons à la vie avec une telle férocité que nous en oublions parfois de la savourer. En revanche, l’homme sur le bateau, malgré sa situation précaire, semblait vivre dans l’instant présent. Il n’avait pas le luxe de s’inquiéter de sa propre mortalité, car il était trop occupé à vivre. Il n’avait pas le temps de craindre la mort, car il était trop occupé à survivre. Cela m’a amenée à réfléchir à la façon dont nous, en occident, abordons la vie et la mort. Avons-nous vraiment le luxe de la peur de la mort, ou est-ce plutôt un fardeau ? Est-ce que notre obsession de la sécurité et notre peur de la mort nous empêchent de vivre pleinement notre vie ?
Peut-être que la vraie leçon à tirer de cette expérience n’est pas que la peur de la mort est un luxe, mais plutôt que la vie elle-même est un luxe. Un luxe que nous devrions chérir et apprécier, peu importe où nous vivons ou dans quelles circonstances nous nous trouvons.
Résilience
En fin de compte, c’est peut-être moins une question de richesse matérielle et plus une question de richesse intérieure. C’est une question de savoir comment nous choisissons de vivre notre vie, comment nous choisissons de faire face à notre propre mortalité, et comment nous choisissons de trouver de la joie et du sens dans notre existence.
Et peut-être que la vraie richesse, le vrai luxe, est de trouver la liberté de vivre pleinement, sans être entravé par la peur de la mort. Comme l’homme sur le bateau, peut-être que nous devrions tous aspirer à vivre avec une telle audace et une telle détermination, à embrasser la vie avec tout ce qu’elle a à offrir, même si cela signifie faire face à notre propre mortalité sans peur.
C'est parfois la peur de la mort qui pousse les hommes à la mort.
Ces réflexions sont le fruit de mon vécu et de ma perception du monde. Je vous invite à partager vos critiques constructives, car ensemble, nous enrichissons notre compréhension mutuelle. Votre perspective compte autant que la mienne.